En début de mois, le député LR Xavier Breton a déposé au Bureau de l’Assemblée nationale une Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les nouvelles règles appliquées à l’instruction en famille, depuis la nouvelle loi ultra-restrictive. Notre association est citée dans cette proposition de résolution, grâce aux chiffres des refus (40% des demandes au niveau national) obtenus par d’autres députés. En juin 2023, portés par députés Géraldine Bannier (Modem) et Jérôme Legavrele (LFI), le rapport d’information de la Commission des Affaires culturelles et de l’éducation préconisait déjà « la constitution d’une commission d’enquête chargée de dresser un état des lieux précis de l’instruction en famille ». L’opposition à cette loi est donc toujours intacte sur de nombreux bancs de l’Assemblée nationale.
Dans sa proposition, le député Xavier Breton explique :
En 2021, un article du projet de loi confortant le respect des principes de la République suscitait de l’inquiétude aux parents ayant choisi pour leurs enfants l’instruction à domicile. On estime que 55 000 écoliers, collégiens ou lycéens, seraient scolarisés aujourd’hui à la maison, soit 0,45 % de l’ensemble.
L’article 21 du texte initial prévoyait de remplacer pour l’instruction en famille (IEF) le régime de déclaration par un régime d’autorisation préalable.
La raison évoquée par le ministre de l’intérieur pour un tel changement était le risque de radicalisation et d’islamisation des enfants instruits à domicile.
Les demandes d’autorisation doivent répondre à des cas limitativement énumérés par la loi et « sans que puissent être invoquées les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des personnes qui sont responsables de l’enfant ».
Les cas sont les suivants :
« 1° L’état de santé de l’enfant ou son handicap ;
« 2° La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
« 3° L’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique d’un établissement scolaire ;
« 4° L’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. »
Le quatrième motif, relatif à l’existence d’une situation particulière propre à l’enfant, vague et flou, est susceptible d’interprétations diverses et subjectives entraînant rupture d’égalité et d’insécurité juridique.
Surtout, ces cas limitatifs n’incluent pas l’exercice par les parents de leur liberté éducative de choisir d’instruire leur enfant en famille et d’opter pour des méthodes pédagogiques différentes de celles mises en œuvre par l’éducation nationale.
Il s’agit là d’une atteinte sans précédent à la liberté éducative sans lien direct avec l’objectif du gouvernement de lutter contre l’islamisme radical et le séparatisme.
Or, la radicalisation des enfants et des jeunes, lorsqu’elle existe, n’est pas effectuée dans le cadre de l’IEF déclarée et limitée aux enfants d’une même famille, mais plutôt dans le cadre d’écoles clandestines, regroupant plusieurs dizaines d’enfants de familles différentes hors de tout cadre légal.
Pourtant, tout au long des débats, le gouvernement avait cherché à rassurer les familles. Ainsi, lors d’une séance au Sénat le 6 avril 2021, le ministre de l’Éducation nationale d’alors, M. Jean‑Michel Blanquer, avait déclaré :
« L’instruction en famille n’est pas mise en procès dans ce texte. C’est une liberté qu’il convient de préciser pour lui donner une assise plus solide. (…) Notre objectif n’est pas de la supprimer. (…) Nous avons dialogué avec le Conseil d’État, écouté les familles et élargi les exceptions. Nous visons l’instruction en famille dévoyée, qui sert le séparatisme. Nous serions en tort de ne pas distinguer la bonne et la mauvaise instruction en famille. (…) Les familles qui ont choisi l’instruction en famille pour de bonnes raisons n’ont rien à craindre de cette loi et ne devraient pas perdre leur énergie pour rien. En revanche, ceux qui développent des structures clandestines ont tout à en craindre. »
Le ministre précisait également :
« Je le répète : l’instruction en famille est l’une des quatre façons d’instruire les enfants en France. Jamais nous n’avons entendu la supprimer. (…) Jamais je n’ai dit qu’il fallait supprimer l’instruction en famille. (M. Max Brisson le conteste.) (…) Ceux qui voteront contre le rétablissement de l’article 21 en prétendant défendre l’instruction en famille sont au mieux dans le hors sujet, au pire dans la démagogie. (Protestations à droite) Je le répète une dernière fois : l’instruction en famille n’est nullement mise en cause. Le régime d’autorisation protège les libertés des familles et les droits des enfants, (…) ».
Il ajoutait :
« Une famille qui respecte parfaitement la loi et le bien‑être de l’enfant n’a pas lieu de s’inquiéter ; je lance donc un appel à la sérénité : les bonnes pratiques seront confortées. »
« En réalité, les familles qui ne posent pas de problème au regard des critères de l’enseignement, ne seront nullement inquiétées pour leur choix de l’instruction en famille, elles pourront continuer à le faire conformément au principe de liberté auquel nous sommes très attachés. »
À l’Assemblée, la rapporteure de cette partie du projet de loi précisait le 11 février 2021 :
« De surcroît, pendant la première année, des contrôles ont lieu qui, s’ils sont positifs, appuient la demande d’autorisation suivante. La famille est alors connue des services administratifs et il ne fait pas de doute que le traitement de son dossier s’en trouvera accéléré. »
Deux ans après le vote de la loi, cet article a t‑il atteint sa cible, à savoir la lutte contre la radicalisation en respectant la liberté d’éducation des parents ayant fait le choix de l’instruction à domicile ?
Il n’est est rien. De nombreuses familles se heurtent à l’arbitraire des décisions d’octroi d’autorisation par les services de l’éducation nationale, outrepassant très largement l’esprit et le texte de la loi, les réserves du Conseil Constitutionnel, les éclairages du Conseil d’État.
En juillet 2023, le Sénat lançait une mission d’information sur l’application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Dans ce cadre, était auditionnée Mme Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre‑mer, chargée de la citoyenneté. À cette occasion, elle a indiqué que « les enfants qui suivaient une instruction en famille étaient auparavant au nombre de 67 000, ils sont aujourd’hui 53 000, soit 27 % de moins. Environ 10 % des demandes ont été refusées sur la base des dispositions de la loi CRPR. » Tout laisse à penser que ces chiffres ne reflètent pas l’efficacité d’une lutte contre la radicalisme et l’islamisation, mais plutôt la volonté de remettre en cause l’instruction en famille.
Par ailleurs, dans une dépêche de l’AEF d’octobre dernier, on apprenait que « les rectorats faisaient face à des recours de plus en plus nombreux en raison des nouvelles règles d’instructions en famille ». Le nombre de recours a ainsi augmenté de près de 20 % en 2022 par rapport à 2021.
Près de 40 % des demandes faites au titre du motif numéro 4 ont été refusées par les académies, sur l’ensemble du territoire, depuis la rentrée scolaire 2022. « Sur les 5 304 demandes instruites effectuées au titre du motif 4, 1 993 ont donné lieu à un refus, soit 37,6 % des demandes », précise le ministère de l’éducation nationale. Selon l’association Liberté éducation, plus de 11 500 demandes auraient été déboutées depuis la promulgation de la loi.
Les familles s’inquiètent du manque de transparence des décisions. Celles‑ci sont variables d’une académie à l’autre, avec des refus massifs dans certaines académies. Le ministre d’alors, M. Pap Ndiaye, affirmait au Sénat, en avril dernier, qu’il était aisé pour toute personne en faisant la demande, d’obtenir les chiffres réels des taux d’autorisation par académie.
Des courriers ont été adressés en ce sens à toutes les académies afin d’obtenir le :
- nombre de demandes d’autorisation d’instruction en famille réalisées sous le régime de plein droit ;
- nombre de demandes d’autorisation d’instruction en famille de droit commun avec la ventilation des demandes par motifs ;
- nombre d’autorisations d’instruction en famille délivrées après les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) ;
- nombre d’autorisations d’instruction en famille délivrées après les recours gracieux ;
- nombre d’autorisations d’instruction en famille délivrées après les recours contentieux ;
pour l’année scolaire 2022/2023 et pour l’année scolaire 2023/2024.
L’Organisation des Nations unies (ONU) a publié en octobre 2023 un rapport épinglant la France. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU recommandait à l’État français de prendre les mesures nécessaires pour « assurer que les principes de nécessité et proportionnalité, ainsi que les besoins particuliers et l’intérêt supérieur des enfants soient dûment pris en considération lors de la prise de décision sur l’autorisation de l’instruction en famille, en tenant compte spécialement de l’article 13.3 du Pacte ». Ce pacte a été bien sûr ratifié par la France !
La situation risque d’être prochainement encore plus préoccupante. En effet, dans quelques semaines, la nouvelle saison des autorisations d’instruction en famille sera ouverte pour la prochaine année scolaire, avec la nouveauté de s’appliquer désormais et pour la première année aux enfants déjà instruits en famille et bénéficiant de ce fait d’un « plein‑droit » depuis deux ans. Les familles vivent dans l’angoisse d’être soumis à des refus et des interprétations radicales de la loi, en particulier pour le motif 4.
Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante tendant à la création d’une commission d’enquête visant à clarifier les nouvelles règles appliquées à l’instruction en famille.