Rétrospective 2022 : les 7-8 octobre à Paris, s’est déroulé le sommet européen sur l’instruction en famille sous l’égide du GHEX, auquel notre association Liberté éducation a participé. Voici donc une synthèse des principales interventions.

Le GHEX (Global Home Education Exchange) est une ONG internationale dont la mission est de faire progresser, connecter et équiper la communauté mondiale de l’instruction en famille.

NB : dans cette synthèse, les termes instruction en famille (IEF) et école à la maison sont interchangeables.

1. Plénière du 7 octobre : Défis et opportunités pour l’école à la maison

Interventions à retrouver ici dans leur intégralité et traduites en français :

Intervention de Jean-Baptiste Maillard, France, Liberté Education

Auteur du livre L’école à la maison, une liberté fondamentale

L’école à la maison est un mode de vie, une grande aventure familiale et d’éducation. Le respect du rythme de l’enfant est la première raison pour laquelle les familles choisissent l’Instruction en Famille (IEF) en France – en deuxième, vient le choix d’une pédagogie. Nous trouvons normal que l’IEF soit contrôlée mais pas interdite.

En 2022, le nombre d’enfants en école à la maison a chuté de 30 %, après une augmentation constante depuis 12 ans : de 18878 enfants en 2010 à 71553 en 2021. Cette chute est principalement due au régime d’autorisation. Jusque-là, en France, 98 % des contrôles ont été réussis. Les enfants qui posent des difficultés en IEF ne représentent que 0,09 % des enfants en âge d’être scolarisés – et pas pour des questions de radicalisation.

Nous ne lâchons rien, nous nous battons tous azimuts : questions écrites au gouvernement, attaque des décrets d’application auprès du Conseil d’Etat, accompagnement des familles devant les tribunaux administratifs et recours au fond devant le Conseil d’Etat, proposition de loi pour revenir au régime déclaratif de l’IEF, etc.

Intervention d’Anne-Françoise de Saint-Albin, France, Salon LIBSCO organisé au même lieu et au même endroit que le sommet
Salon de la LIBerté SCOlaire, La Fondation pour l’Ecole

2500 établissements scolaires indépendants existent actuellement en France, environ 120 ouvrent chaque année. Ils sont un aiguillon pour stimuler l’école traditionnelle qui est à bout de souffle. La Fondation pour l’Ecole soutient le développement de ces établissements et défend la liberté et la diversité scolaires, dans la même ligne que les défenseurs de l’IEF.
Le salon LIBSCO, organisé par la Fondation pour l’Ecole et qui a lieu en parallèle de la conférence du GHEX, poursuit trois objectifs :

  • donner l’occasion aux acteurs du monde éducatif de se rencontrer et de dialoguer ;
  • valoriser les initiatives pédagogiques du terrain ;
  • initier et inspirer de nouvelles idées au service des enfants.
Intervention de Mike Donnelly, Etats-Unis, Avocat, HSLDA
Home School Legal Defense Association 

La motivation de la HSLDA, la plus grande organisation mondiale de défense de l’IEF, est de rendre l’école à la maison librement accessible pour tous les enfants dans le monde. Celle-ci a explosé à la suite de la COVID. Une raison rassemble ces familles : l’amour des parents pour leurs enfants. Nous voulons qu’ils grandissent dans un environnement où ils sont encouragés et en sécurité émotionnellement : c’est là qu’ils peuvent développer leur plein potentiel, sans être motivés par la compétition ou la jalousie.

La volonté de légiférer davantage sur l’IEF est grande. Chaque Etat répond à ce défi à sa manière. L’oppression naît de la peur et du contrôle. La liberté est enracinée dans l’amour et la décision de faire confiance. En 1948, les contributeurs à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme sortaient d’une période d’horreurs, qui avait notamment vu l’éducation utilisée comme arme de guerre. Ils ont écrit que la famille était l’unité fondamentale de la société (art. 16.3) et que les parents étaient les premiers éducateurs (art. 26.3). Nous devons nous souvenir du contexte de l’écriture de ce texte.

Intervention d’Alexandre Moreira, Brésil, Professeur de droit
Ancien membre du Ministère de l’Education du Brésil

L’Europe est un continent riche de son héritage et les européens ont la responsabilité de le préserver. Ils devraient en être bien plus fiers. Les combats pour la liberté ont commencé ici en Europe. Il me semble que les générations actuelles ne s’inquiètent pas de la liberté – cela pourrait être tragique.

Les droits de l’homme sont un langage universel pour l’IEF dans le monde entier. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, les Pactes internationaux de 1967 relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi qu’aux droits civils et politiques, affirment tous que la famille est le groupe fondamental de la société. L’IEF n’y était pas mentionnée puisque ce n’était pas encore un mouvement à dimension internationale, mais elle correspond à l’esprit de ces textes internationaux. Deux organisations – un groupe de femmes et l’Union Mondiale Juive – ont insisté pour la rédaction d’un autre texte parce que les droits parentaux avaient été écrasés par les nazis. La Convention des Droits de l’enfant est née, favorable aux droits parentaux et à la liberté d’éducation, et interdisant l’endoctrinement. L’IEF s’y trouve comme un droit implicite, ce qui implique une liberté de programme, dans le respect des convictions des parents.

Intervention de Jean-Frédéric Poisson, France, Président du parti Via, la voix du peuple
Maire de Rambouillet et ancien député

L’IEF est un antidote à trois éléments problématiques dans notre société française, voire européenne, qui se développent dans un contexte d’anesthésie générale :

  • l’IEF est enracinée dans les libertés fondamentales, face au projet politique contre la liberté qui se développe en France et en Europe, à l’aune du crédit social[1] et du capitalisme de surveillance[2]
  • l’IEF est déterminée à être fière de ce qu’elle transmet et de la culture française, alors que les français sont globalement honteux de ce qu’ils sont, dans la lignée du Sanglot de l’homme blanc[3]
  • l’IEF est déterminée à être efficace en pédagogie, pour que les enfants acquièrent du sens critique ainsi que les outils nécessaires pour réussir en tant qu’adulte ; face à l’Education Nationale qui faillit à sa mission de respecter la transmission des savoirs et de la culture, ainsi que la liberté des enfants et des parents (liberté de conscience, d’éduquer et de transmettre).

L’IEF va dans le sens du bien commun et je pense qu’elle a de très beaux jours devant elle. Face aux limites multiples données à la liberté, de nombreux systèmes d’entraide se multiplient, notamment à travers la jeune génération. Cette génération est lassée de la vie institutionnelle, des grandes boîtes et des métropoles ; elle s’installe ailleurs et là, se dit « s’il y a une bonne école tant mieux, et s’il n’y en a pas, c’est moi qui la ferai ».

2. Plénière du 8 octobre : quelle direction prendre ?

Interventions à retrouver ici dans leur intégralité et traduites en français :

 

Intervention de Gerard Huebner, Canada, Président du GHEX
Global Home Education Exchange

L’école à la maison n’est plus marginale. Nous avons vu le mouvement grandir au fur et à mesure des conférences internationales depuis 2012 :

    • Berlin, 2012 : l’IEF a été présentée au monde, cela fonctionne ;
    • Rio de Janeiro, 2016 : l’IEF est un droit fondamental et son application doit être encouragée ;
    • Russie, 2018 : l’IEF a été affirmée comme une possibilité ;
    • En ligne, 2020 : l’IEF est un mouvement mondial et une solution mondiale pour de nombreuses familles.

A long terme, le combat se situe sur les plans légal et idéologique.

Intervention de Jan de Groof, Professeur de droit
Université de droit d’Anvers, Collège de France, Chairman pour le droit à l’éducation à l’UNESCO

Après l’effondrement de l’URSS, la Russie a affirmé que l’éducation était en priorité de la responsabilité des parents, et non de l’école ou de l’Etat, ce qui fut un grand changement. Le premier Président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, René Cassin, a affirmé que l’Etat doit réguler l’éducation, celle-ci étant entendue comme « le transfert de valeurs, de croyances et de la culture », mais seulement dans une certaine mesure : « Le système de l’école publique tend à une rigidité qui paraît disproportionnée dans une société moderne. » Aujourd’hui, à l’ère digitale, les Etats ne semblent pas prêts à s’adapter sur le plan éducatif.

Le nouveau cadre législatif français pour l’IEF est choquant du point de vue du droit international : les parents devraient être les décisionnaires principaux concernant l’éducation de leur enfant, pas par exception. Faire confiance ou non aux parents est une question-clé de société : sont-ils des problèmes ou des partenaires ?

Intervention de André Stern, Directeur de l’Institut Arno Stern
Laboratoire d’observation et de préservation des dispositions spontanées de l’enfant
Musicien, compositeur, luthier, conférencier, journaliste et auteur 

Si le Ministre de l’Education Nationale acceptait ma demande de rendez-vous, voici ce que je lui dirais. Nous sommes traditionnellement dans une attitude de domination, en voyant l’enfant comme le point 0 du développement humain et l’adulte comme son point culminant. Or, l’enfant naît avec un grand nombre de potentiels : se développent seulement ceux qui sont adaptés à son environnement et les autres disparaissent. L’enfant contient en lui tous les potentiels de l’humain.

Dans notre société, il est devenu respectable d’oublier 80 % des choses apprises. Oublier autant peut s’expliquer notamment par le fait que, du point de vue scientifique, notre cerveau est optimisé pour résoudre des problèmes, pas pour apprendre. Une information qui nous permet de résoudre un problème qui nous concerne est immédiatement retenue pour toujours, notamment parce qu’elle active nos centres émotionnels. Une activité les active et mobilise notre motivation intrinsèque : jouer. C’est ce que font tous les enfants du monde : nous pouvons leur faire confiance pour apprendre.

Nos enfants deviennent comme nous les voyons et comme ils nous voient.

Intervention d’Hubert Veauvy, Liberté Education
Association de défense de l’IEF, avocat en droit public

L’IEF est un levier magnifique pour répondre à différentes problématiques sociétales :

    1. Pour le bien de l’enfant– De nombreux rapports parlementaires mettent en valeur la souffrance des enfants en milieu scolaire : le harcèlement, la pornographie, la phobie scolaire, par exemple. Dans ce contexte, c’est inadmissible de garder les enfants prisonniers de l’école.
    2. Pour la cohésion familiale – La France encourage les parents à se séparer de leurs enfants très tôt : école obligatoire à 3 ans, crèche encouragée dès 1 an, par exemple. En parallèle, on regrette la démission éducative. L’IEF est un outil de cohésion familiale : le temps passé ensemble permet de mieux se comprendre et est source d’apaisement.
    3. Pour des enfants qui savent où ils vont – De nombreuses reconversions professionnelles, parfois douloureuses, ont lieu dès la trentaine. En IEF, les enfants ont le temps de développer leurs talents, de mieux se connaître et de choisir une voie professionnelle plus certaine.
    4. Pour la conversion écologique – Des parents ont choisi de vivre à la campagne, pour retrouver le contact avec la terre : l’IEF leur permet ce choix. Avec l’école obligatoire, ils pourraient être contraints d’abandonner leur projet car avec un seul salaire, les longs trajets peuvent avoir un coût prohibitif.
    5. Pour l’innovation pédagogique – Les familles pourraient être perçues comme des petites start-ups qui expérimentent dans des directions pédagogiques innovantes. Après plusieurs années d’expérience, les parents pourraient intervenir lors des formations de professeurs. A la place, les parents ont été humiliés par l’exigence du baccalauréat.
    6. Pour l’économie budgétaire – Les familles en IEF paient leurs impôts et portent tous les coûts éducatifs, ce qui génère de fortes économies pour l’Etat.

En France, deux combats sont à mener :

    • Pour la mise à l’ordre du jour d’une proposition de loi revenant au système déclaratif ;
    • Pour l’interprétation de la loi, sachant que les garanties sont fragiles : le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat manquent d’indépendance face aux pressions politiques ; assurer la représentation des familles, créer un réseau indépendant d’inspecteurs.
Intervention du Dr Peter Gray, Professeur de psychologie et de neurosciences à Boston
Connu pour son travail sur l’interaction entre l’éducation et le jeu

Aux Etats-Unis, 11 % des enfants en âge d’être scolarisés sont en IEF. Pourquoi ce mouvement va-t-il grandir ?

    • La toxicité croissante des méthodes d’apprentissage et des tests standardisés ;
    • Les interférences trop fortes avec la vie de famille – temps nécessaire pour les devoirs ;
    • La facilité croissante de poursuivre une éducation par les apprentissages autonomes ;
    • L’adéquation de l’apprentissage autodidacte avec les besoins de l’économie : créativité, innovation, standards moraux, savoir-être.

Un nouveau modèle d’apprentissage pourrait émerger, en trois étapes :

  1. Découverte : apprentissage autodidacte de qui je suis, comment je me situe dans le monde
  2. Exploration des métiers : stages, apprentissage, emploi peu qualifié dans le secteur exploré, pour prendre une décision d’orientation en connaissance de cause ;
  3. Candidature aux écoles et universités sur la base de recommandations.
Intervention d’Alison Sauer, Centre for Personalised Education
Organisation de soutien à l’IEF, Juriste

D’où viennent les politiques publiques ?

    1. Création de la perception qu’un problème doit être résolu, souvent accompagnée de préjugés
    2. Création de preuves : cela rend plus difficile la distinction entre opinion et faits. Les réelles preuves sont ignorées. La presse accepte le concept que quelque chose doit être fait : cela devient un fait.
    1. Qualification de la politique : “moderne” et “progressiste” : lorsque vous utilisez ces termes, cela stigmatise les autres. Cela suscite peur, dédain, suspicion. La plupart du temps, les initiateurs de la politique n’ont pas réfléchi à la perspective long-terme derrière ce qui est « progressiste ». A ce stade, lorsque les choses sont bien lancées, c’est très difficile de faire marche arrière. Nous finissons souvent avec une solution unique pour tous.
    1. Mettre au défi ceux qui ne sont pas d’accord :
      • Lorsque les opposants atteignent 1%, les politiques commencent à s’inquiéter. Lorsqu’il y a 3,5 % d’une population engage dans une protestation non-violente pendant 9 à 18 mois, ils gagnent à chaque fois[4].
      • Lorsque quelqu’un continue de défendre sa position sans preuve, c’est dû à un phénomène psychologique et sociologique : la protection de ses propres croyances. Cela fait partie de la culture du bannissement (cancel culture).
    1. Homogénéiser par la politique publique

L’homogénéisation passe par la définition de standards minimaux, qui finit par tirer tout le monde vers ce minimum et qui réduit la diversité.

    1. Domination du récit médiatique par la politique
    2. Retour cyclique au point 1.


Sources :

[1] « En Chine, le « crédit social » des citoyens fait passer les devoirs avant les droits », Le Monde, 16 janvier 2020.

[2] « Un capitalisme de surveillance », Le Monde diplomatique, Janvier 2019.

[3] Pascal Bruckner, Seuil, 1983.

[4] Erika Chenoweth, Harvard (lien)

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