Tribune collective parue dans le FigaroVox le 8 décembre 2022.
Le 23 novembre 2022, une audience capitale s’est tenue au Conseil d’État pour l’avenir de plus de 50.000 enfants et des centaines de milliers d’autres demain. Nous y étions. À l’heure d’une actualité chargée entre la guerre en Ukraine et les craintes de l’hiver, peu d’intellectuels prennent conscience de l’enjeu d’un tel évènement.
Depuis 1880, les familles pouvaient sur simple déclaration pratiquer librement l’instruction en famille, avec des contrôles réguliers garantissant que les enfants bénéficient d’une instruction de qualité. Jules Ferry l’avait sacralisé dans le droit, répondant à un détracteur de l’instruction en famille, le député Monsieur Paris, depuis la tribune de notre illustre Assemblée : « qu’on n’enquiquine pas les parents qui font consciencieusement l’instruction en famille ». Les parents étaient décisionnaires, ils pouvaient faire ce choix difficile et exigeant de devenir les instructeurs de leurs enfants. Talleyrand lui-même avait proclamé du même perchoir, en septembre 1791 : « La nation, offre à tous le grand bienfait de l’instruction, mais ne l’impose à personne. Elle sait que chaque famille est aussi une école primaire, dont le père est le chef. »
Jamais aucune étude sérieuse n’a pointé des insuffisances dans l’instruction en famille des enfants depuis 140 ans. Bien au contraire, des pédagogies innovantes comme la méthode Singapour sont arrivées dans l’Education nationale par les inspecteurs des familles en école à la maison. De nombreuses personnalités qui en ont bénéficié peuvent témoigner de la richesse de cette liberté éducative, à commencer par Marie Curie, enterrée au Panthéon de la République, ou Jean d’Ormesson, qui a eu droit à des funérailles nationales.
Et pourtant, aujourd’hui, pour toutes ces familles, pour tous ces enfants, un mur a été construit. Le mur d’une autorisation qui risque de ne jamais être délivrée. En effet, le décret du 15 février 2022 sur l’instruction en famille, sera, sauf coup de théâtre, confirmé par le Conseil d’État. Le rapporteur public affirme qu’il est parfaitement légal.
Il est donc parfaitement légal non seulement de contraindre les parents à demander une autorisation d’instruire à la maison, mais encore de les obliger à faire cette demande entre le 1er mars et le 31 mai de l’année précédente.
Il est donc légal d’empêcher une demande d’instruire en famille en cours d’année, alors même que, chaque parent le sait, toute scolarité est imprévisible. La plupart des phobies scolaires, des troubles de l’apprentissage, des situations d’échec, de harcèlement, de pathologies encore non diagnostiquées arrivent en cours d’année.
Désormais, les parents qui n’auront pas la chance ou les moyens financiers de choisir une pédagogie alternative dans une école hors-contrat, mieux adaptée à leur enfant, devront de force choisir une école privée sous contrat ou une école publique. Désormais chaque enfant se verra privé de toute alternative pédagogique à ce qui existe près de chez lui. Pour les familles qui résident en zone rurale ou dans des zones où le niveau et l’ambiance sont très dégradés, cela signifie une absence de choix.
Sans compter que l’intérêt de l’enfant, qui avait pourtant donné lieu à une définition large du Conseil constitutionnel, n’a pas été clairement défini par le rapporteur public du Conseil d’État. C’était pourtant l’attente majeure des familles qui se sont retrouvées face à des refus d’autorisation arbitraires, avec des disparités entre les académies particulièrement injustes, comme l’a reconnu lui-même le ministre de l’Education nationale : « dans certains départements, c’est un non très massif ». Ainsi l’académie de Toulouse avait rejeté 90% des autorisations, un chiffre à mettre en parallèle, au niveau national, avec 98% de contrôles pédagogiques annuels réussis pour les enfants instruits en famille, et seulement 0,09% des enfants à problèmes. Le Conseil d’État n’a donc pas l’air de se soucier d’un tel étau pour les familles, manifesté par plus de 250 recours devant les tribunaux administratifs du pays. C’est beaucoup pour une administration et pour des commissions de recours amiable que, dans ses conclusions, le rapporteur public a estimées « impartiales ». Tocqueville écrivait dans son livre De la démocratie en Amérique : « Je crois la liberté en péril lorsque ce pouvoir ne trouve devant lui aucun obstacle qui puisse retenir sa marche et lui donner le temps de se modérer lui-même ». Qui saura mettre un terme à cette dérive liberticide qui s’en prend à nos propres enfants, si le Conseil d’État se refuse à mettre des limites à l’arbitraire des rectorats ? Sachant que 74% des familles françaises souhaitent le maintien de cette liberté éducative ? (2)
Depuis le début, le gouvernement a menti aux familles. Il a menti lors des débats parlementaires en promettant que toutes les familles qui pratiquaient correctement l’instruction en famille ne seraient pas inquiétées. C’est tout le contraire : des petits derniers de fratries, dont les aînés avaient, pendant de longues années, obtenu des contrôles favorables, ont vu leur autorisation refusée. Des enfants d’instituteurs, de professeurs, et même de normaliens se sont vu refuser l’autorisation.
Cette injustice montre bien le peu de cas que l’État fait de la liberté éducative. Elle risque d’en entraîner d’autres. Si l’école à la maison devient une exception, une concession du pouvoir, pour reprendre une expression de Maître François Sureau, académicien, dans son livre Sans la liberté, si l’école à la maison devient un parc zoologique composé d’espèces en voie de disparition, alors ce sont les écoles hors contrat puis l’école privée sous contrat, qui, demain, risquent d’être ainsi démantelées.
Ne nous y trompons pas : derrière la suppression de l’école à la maison, il y a une idéologie, celle de l’État seul responsable et décisionnaire de l’éducation et de l’instruction de nos enfants. Un jour, toutes les écoles dites libres risquent d’être sous autorisation, comme le fit déjà Emile Combes en 1902 avec les conséquences que l’on connaît : une interdiction massive. Comme pour l’instruction en famille, les projets pédagogiques de ces écoles seront acceptés ou refusés par les rectorats de manière arbitraire.
Un jour, vos enfants se verront enseigner tout ce qu’un gouvernement décidera d’imposer. Un jour, les parents, aux convictions philosophiques ou religieuses différentes, se verront dans l’incapacité de trouver une instruction compatible avec leur conscience.
Nous le voyons ici : refuser la liberté éducative, c’est de manière insidieuse préparer le formatage des esprits. Et préparer le formatage des esprits, c’est progressivement détruire notre démocratie. Nous ne le souhaitons pas, ni pour notre pays, ni pour nos enfants.
Jean-Baptiste Maillard, secrétaire général de Liberté éducation
Audrey Poissonneau, co-fondatrice de l’Union Nationale pour l’Instruction et l’Épanouissement des enfants
Sandrine Berthelé, représentante du collectif L’Ecole Est La Maison
Sarah Michel, Fédération pour la liberté du choix de l’instruction et des apprentissages
- Chiffres de la DGESCO – lire : Rapports Dgesco: on a forcé les députés à voter à l’aveugle !
- Sondage Make Mothers Matter l’institut IDM familie auprès de 10 552 mères d’enfants de 0-12 ans inclus, représentativité de l’échantillon global assurée par un redressement par pondération sur les critères CSP du répondant et nombre d’enfants (données recensement INSEE).