Tribune de notre secrétaire général Jean-Baptiste Maillard publiée dans Marianne le 13 janvier 2021.
L’interdiction de l’école à la maison constituerait le viol d’une liberté fondamentale
Jean-Baptiste Maillard est secrétaire général de l’association « Liberté éducation » et fait l’école à la maison à ses trois garçons depuis dix ans. Il défend ce qu’il perçoit comme « une liberté fondamentale ».
Quel est le point commun entre André-Marie Ampère, Blaise Pascal, Pierre Curie, Marguerite Yourcenar et Jean d’Ormesson ? Ils ont tous fait l’école à la maison. Entre les fondateurs de Google, d’Amazon et Wikipédia ? Ils ont tous bénéficié de la pédagogie Montessori. C’est en découvrant cette dernière, il y a 12 ans, que nous avons alors décidé de faire l’école à la maison à notre premier enfant, sacrifiant alors le bon salaire de mon épouse, ergonome pour la médecine du travail. Nous avons alors troqué notre petit appartement parisien pour une maison à Tours, avec jardin, puits et potager. Nous avons changé de mode de vie pour un autre : jamais nous ne pourrons y renoncer.
La socialisation en question
Au début, on nous a regardés avec de grands yeux, passant pour des extraterrestres, avec toujours une même inquiétude, celle de la sociabilisation de nos enfants. Pourtant, les études de divers universitaires arrivent à la conclusion que les enfants non scolarisés ont une meilleure image d’eux-mêmes, qu’ils participent à autant d’activités extrascolaires, développant des qualités de leadership, et qu’ils ont moins de problèmes de comportement en groupe (Larry Shyers, Thomas Smedley, Home School Researcher, Volume 8, n°3, 1992.). Du reste, les adultes ayant été éduqués à la maison considèrent pour les trois quarts que leur éducation hors école les a aidés dans leurs rapports avec des personnes de tous niveaux de la société et 96% de ces adultes ne regrettent pas d’avoir été éduqués hors école (Gary Knowles, 1993, USA ; une étude UK de Julie Webb, 1990 présente des conclusions similaires).
« Ce serait donc une erreur de croire que les familles qui font l’instruction à domicile passent leurs vies enfermées à la maison »
Ne confondons pas sociabilité d’un enfant et socialisation. D’ailleurs, si un enfant scolarisé en famille souffre de ne pas avoir assez d’amis, les parents peuvent tout à fait se poser la question de le remettre à l’école pour cette raison. Globalement, c’est un choix qu’en tant que parents, nous évaluons chaque année. Aujourd’hui, les personnes dont nous parlions plus haut nous affirment que nos enfants sont devenus tout le contraire de ce qu’ils avaient imaginé : des garçons qui ont le contact très facile, qui n’ont pas peur d’aller vers n’importe quel adulte – même des inconnus – pour leur poser une question ou simplement discuter. Chez nos amis ou dans les parcs, ils sont aussi des leaders dans les jeux, quels que soient les enfants et leur âge. Ce serait donc une erreur de croire que les familles qui font l’instruction à domicile passent leurs vies enfermées à la maison : c’est en réalité tout le contraire, avec une large ouverture donnée sur le monde qui les entoure !
Les nombreux bienfaits de l’école à la maison
Petit à petit, nous avons découvert les nombreux bienfaits de l’école à la maison : respect du rythme biologique de l’enfant, adaptation permanente de son « institutrice » à ses difficultés, absence de devoirs le soir et le week-end, multiplicité des activités extrascolaires, qu’elles soient sportives ou culturelles. Notre aîné a été inscrit dès cinq ans au conservatoire régional de musique, nous y passons aujourd’hui plus de huit heures par semaine, ses deux autres frères ayant suivi le même parcours : solfège accéléré, chorale, orchestre, cours de violon ou de piano…
Tous les trois sont devenus très doués et leurs professeurs en connaissent la raison : nos garçons travaillent leur instrument aux meilleurs moments de la journée, non le soir en rentrant de l’école, quand ils sont fatigués. Nous avons même monté un groupe et nous donnons déjà quelques concerts. Cela n’aurait jamais été possible sans faire l’école à la maison. Notre aîné, qui a aujourd’hui 11 ans et suit, en sixième, un très sérieux cours par correspondance, dévore jusqu’à trois livres par semaine. Notre deuxième, qui est en CM2, passe beaucoup de temps à jouer en particulier avec nos animaux (un chien et deux chats), notre petit dernier, qui a six ans, est en CP et sait déjà lire, passe deux heures par jour à dessiner en plus de son travail scolaire…
L’annonce d’Emmanuel Macron fut un coup de tonnerre dans un ciel bleu
Lorsqu’Emmanuel Macron a annoncé son intention d’interdire l’école à la maison, nous avons été sidérés d’une telle célérité, en fin de mandat, à vouloir faire passer une loi aussi liberticide pour nos libertés fondamentales de parents. Jules Ferry se retournait dans sa tombe ! N’était-ce pas lui qui avait sanctuarisé l’école à la maison, il y a plus d’un siècle, en 1882, en rendant l’instruction obligatoire, et non la scolarisation ? La liberté des parents de faire l’école à la maison n’est-elle pas garantie par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, en son article 26, qui précise : « Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. » Et pourquoi M. Macron a-t-il amalgamé les familles faisant l’école à la maison avec les écoles clandestines, quand on sait que d’après l’Éducation nationale elle-même, « les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels » ? (Vademecum de l’Éducation nationale sur l’école à la maison, publié en octobre sur le portail Eduscol)
« Qui, mieux que les parents, qui connaissent et aiment leur enfant, peut savoir quel est son intérêt supérieur ? »
Chaque année, nous avons la visite des inspecteurs d’académie et d’une assistante sociale envoyée par la mairie tous les deux ans : pourquoi ne pas augmenter les contrôles ? Faut-il aussi interdire les autoroutes sous prétexte qu’il y a des excès de vitesse ? Le 18 juin dernier, le ministre de l’éducation, auditionné au Sénat, affirmait qu’il existe déjà suffisamment de structures d’État pour contrôler le niveau et l’intégration des enfants. Au sénateur Jean-Marie Bockel qui lui demandait s’il fallait interdire ou conditionner davantage l’enseignement à domicile, il répondait : « sur le plan des principes juridiques, nous sommes parvenus à un bon équilibre. » Il ajoutait encore que cette liberté repose sur « un fondement constitutionnel puissant qu’on ne peut que reconnaître et qui est, je pense, positif ». Pourquoi ce revirement soudain ? Comme l’a dit en commission des lois la députée Annie Genevard, vice-présidente de l’Assemblée nationale et présidente du Conseil national Les Républicains : « La liberté d’enseignement des familles ne peut disparaître au nom de la lutte contre l’islamisme. Nous serons très attentifs à préserver cette liberté fondamentale sans rien céder à l’islamisme. »
Le viol d’une liberté fondamentale digne d’un régime totalitaire ?
Encore adolescent, juste au moment de la chute de l’URSS, mon père fut nommé diplomate près l’ambassade de France à Moscou, où nous avons passé trois années. La fille d’un de ses amis, un académicien russe, m’avoua un jour : « ce week-end, je dois aller aux pionniers, mais je n’en ai pas envie : je m’y ennuie, c’est de l’embrigadement ! » Sa phrase m’est revenue en boomerang, vingt-six ans plus tard : veut-on aujourd’hui obliger les enfants à aller à l’école comme les pionniers en URSS, sans d’autre choix possible ? Nos enfants n’appartiennent pas à l’État. Qui, mieux que les parents, qui connaissent et aiment leur enfant, peut savoir quel est son intérêt supérieur ? Si cette loi passait, ce serait le viol d’une liberté fondamentale, pas seulement pour les parents qui instruisent leurs enfants en famille, mais pour tous ceux qui, un jour, pour une raison ou pour une autre, voudraient aussi faire ce choix souverain, auquel l’État ne peut se substituer puisqu’il concerne nos propres enfants.
Que le président de la République s’attaque ainsi à l’un des principaux Droits de l’homme, dans un moment de l’histoire de notre pays où nos concitoyens disent de plus en plus souffrir de dérives liberticides, a de quoi inquiéter. Il y a quelques jours, le ministre de l’Éducation écrivait à son homologue allemand pour lui annoncer son intention d’interdire l’école à la maison et ainsi s’aligner sur l’Allemagne qu’il estime être un « modèle à imiter » en la matière. Devons-nous lui rappeler que c’est pourtant en 1938, en pleine poussée du nazisme, que l’école à la maison y fut interdite par Hitler ? (*)
(*) Loi du 6 juillet 1938 qui impose la Schulpflicht (obligation scolaire) et interdit l’instruction à la maison pour que tous les enfants reçoivent l’enseignement de l’État nazi.