Dans un article du vendredi 4 décembre à 19h environ, intitulé « Instruction à domicile : comment le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis » (lire ci-dessous), l’Express annonce les changements du projet de loi suite à l’avis du Conseil d’Etat. Notre commentaire.
« Pressé de toute part, l’exécutif a dû faire machine arrière. Mais il n’a pas voulu perdre la face. Le texte n’a donc pas été retoqué mais réécrit au Conseil d’Etat ».
« Il y a des mesures qui paraissent une bonne idée au premier abord et qui finissent par devenir si encombrantes qu’on se demande pourquoi on les a insérées dans un projet de loi. (…) Si la version définitive du projet de loi réécrit par le Conseil d’Etat ne sera connue que lundi, le gouvernement a, selon nos informations, accepté un net assouplissement de l’autorisation d’instruire à domicile. Dans la première version du texte, il était prévu que « l’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés ». Et seulement dans le cadre de quelques exceptions possiblement, effectuée à domicile « lorsque la scolarisation (…) est impossible pour des motifs tenant à (la) situation (de l’enfant) ou à celle de sa famille ». Dans la mouture qui sort de l’Assemblée générale du Conseil d’Etat, l’instruction pourra être dispensée dans les familles sous certaines conditions au regard de « la situation particulière de l’enfant ». Ce qui inclut les cas de phobies scolaires par exemple ou de besoins particuliers et devrait permettre à plus de familles d »obtenir l’autorisation. »
Notre commentaire :
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- EN AUCUN CAS une liberté fondamentale des parents peut être soumise à l’autorisation de l’Etat (rappel : nous sommes aujourd’hui en régime déclaratif).
- On ne peut définir des motifs légitimes pour une liberté fondamentale
- Cela maintiendrait un grave risque d’arbitraire et de discrimination.
- Ce n’est donc pas une avancée.
L’article intégral de l’Express
Ces dernières semaines, les partisans de l’instruction à domicile se sont fait entendre
Par Agnès Laurent, avec Jean-Baptiste Daoulas publié le 04/12/2020 à 19:28 , mis à jour à 19:55
Il y a des mesures qui paraissent une bonne idée au premier abord et qui finissent par devenir si encombrantes qu’on se demande pourquoi on les a insérées dans un projet de loi. L’interdiction de la scolarisation à domicile, inscrite dans le texte « confortant les principes républicains » qui sera présenté au Conseil des ministres le 9 décembre, risque fort d’être de celles-là. Selon nos informations, en effet, l’article tel qu’il a été rédigé par le gouvernement était menacé d’être retoqué par le Conseil d’Etat. Pour ne pas perdre la face avec un rejet total de la mesure, l’exécutif a donc suggéré une nouvelle formulation moins contraignante. Proposée en direct lors de l’examen du texte par la haute juridiction, elle devrait figurer dans l’avis définitif que le Conseil d’Etat finalisera le lundi 7 décembre. Objectif : sauver ce qui peut l’être d’une mesure apparue par surprise lors du discours sur le « séparatisme » d’Emmanuel Macron aux Mureaux le 2 octobre et qui n’en finit pas de créer des remous.
Ce jour-là, en effet, entre deux propositions visant à obliger les associations à mieux respecter les valeurs républicaines, à encourager les élus à ne pas céder aux pressions communautaristes et les cultes à entrer sous le statut de la loi 1905, le président de la République prend tout le monde de court en annonçant que « dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans. L’instruction à domicile sera strictement limitée, notamment aux impératifs de santé ». Le secret a été soigneusement gardé, la veille encore, le sujet n’était pas mentionné comme faisant partie des annonces présidentielles. Et si Jean-Michel Blanquer l’avait bien évoqué dans ses propositions en vue d’enrichir le projet de loi, peu croyaient à son adoption, tant le sujet de la « liberté d’instruction » est sensible dans le pays. « La décision s’est prise juste avant, dans une discussion de Conseil des ministres », dit un membre du gouvernement. Manière de dire, aussi, qu’elle n’a peut-être pas été assez pesée en amont de l’annonce.
Dès le 2 octobre, les partisans de l’instruction à domicile font savoir leur mécontentement. Ils s’associent aux défenseurs des écoles privées, notamment hors contrat, qui ont le sentiment que leur mode d’enseignement est lui aussi menacé par le projet de loi « séparatisme ». Du côté du gouvernement, on commence à prendre la mesure de la difficulté. Difficulté juridique, puisque la « liberté d’instruction » – et donc d’instruire ses enfants à domicile – est un droit constitutionnel. On peine à trouver la bonne formulation. Difficulté politique, aussi. Des députés, des ministres alertent sur l’intense lobbying déployé par des associations de parents. Chaque week-end, des manifestations sont organisées dans les grandes villes.
Leurs arguments portent d’autant plus que le gouvernement peine à justifier sa mesure. Il a bien avancé le chiffre de 50 000 enfants instruits à domicile, mais parmi ceux-là, combien sont soumis à une pression religieuse ? Mystère. Le ministère de l’Education nationale ne sait pas. Déjà, certains, à l’instar de Gérald Darmanin, prennent leur distance et avancent que la mesure la plus utile est celle attribuant à chaque enfant un numéro d’identification national permettant de les repérer lorsqu’ils quittent le système scolaire.
Les jours passent, la tension monte. A l’Assemblée nationale, le mercredi 2 décembre, la boucle Telegram « Forum Députés » (qui regroupe tous les macronistes) s’anime. Deux camps se dessinent. « C’était 50/50 », raconte une élue. Les opposants à la mesure sont eux-mêmes divisés en deux groupes. Ceux opposés sur le fond, « qui ne considèrent pas l’instruction à domicile comme un rejet de l’école républicaine, mais comme un modèle d’éducation ». Et ceux qui ont des réserves beaucoup plus politiques. « Est-ce que l’instruction à domicile ne va pas phagocyter tout le texte, comme l’article 24 l’a fait pour la proposition de loi sécurité globale ? ».
L’arrivée du texte au Conseil d’Etat donne le coup de grâce. D’abord, soumis à l’examen d’une section, en petit comité, l’article 18 est jugé à la fois inconstitutionnel et présentant un problème de proportionnalité de la mesure au regard des cas à résoudre. Les conclusions de la section, dévoilées par Le Parisien, sont sans appel. Et elles servent de base à l’examen en Assemblée générale du Conseil d’Etat, programmée le jeudi 3 décembre. Dans un premier temps, les juristes du Palais-Royal décident de retoquer la mesure. Le gouvernement s’affole, l’avis du Conseil d’Etat est certes consultatif, mais il augure mal de la suite du parcours de l’article 18. Alors, le ministère de l’Education nationale, qui veut à tout prix éviter un camouflet, propose un compromis sous la forme d’une réécriture de la mesure. Un exercice qui se fait en séance et que le Conseil d’Etat finit par valider, de guerre lasse. Il faut dire que l’examen du texte dans son intégralité a duré seize heures.
Si la version définitive du projet de loi réécrit par le Conseil d’Etat ne sera connue que lundi, le gouvernement a, selon nos informations, accepté un net assouplissement de l’autorisation d’instruire à domicile. Dans la première version du texte, il était prévu que « l’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés ». Et seulement dans le cadre de quelques exceptions possiblement, effectuée à domicile « lorsque la scolarisation (…) est impossible pour des motifs tenant à (la) situation (de l’enfant) ou à celle de sa famille ». Dans la mouture qui sort de l’Assemblée générale du Conseil d’Etat, l’instruction pourra être dispensée dans les familles sous certaines conditions au regard de « la situation particulière de l’enfant ». Ce qui inclut les cas de phobies scolaires par exemple ou de besoins particuliers et devrait permettre à plus de familles d »obtenir l’autorisation. »
La différence entre les deux formulations peut paraître ténue, mais elle permet au gouvernement de sauver la face à deux jours de la présentation officielle du texte. Mais rien ne dit qu’elle passera la barre du débat au Parlement où nul ne doute qu’une furieuse bataille d’amendements va se livrer. Ni même qu’elle survivra, plus tard, à l’examen devant le Conseil constitutionnel. Les examens, devrions-nous dire, car au-delà du recours possible des parlementaires avant sa promulgation, les partisans de l’instruction à domicile se préparent déjà à déposer des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). La rue de Grenelle n’a pas fini d’avoir des sueurs froides.