En novembre 2020, la revue du Syndicat des inspecteurs d’académie (SIA) s’est penchée sur le sujet de l’interdiction de l’instruction en famille (IEF) souhaitée par Emmanuel Macron, dans un article rédigé par Antonello Lambertucci, inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) de sciences économiques et sociales de l’académie de Créteil. Le syndicat dénonce notamment un amalgame entre école à la maison et radicalisation religieuse.
« L’amalgame » entre instruction en famille et radicalisation religieuse pointé du doigt
Citant longuement le discours du chef de l’État du 2 octobre 2020, l’auteur de l’article souligne l’amalgame réduisant l’instruction en famille au problème de la radicalisation religieuse : si « les phénomènes tels que ceux décrits par le Président de la République existent bien […], on peut s’interroger sur la place réelle que le phénomène de radicalisation religieuse prend dans l’ensemble de l’instruction à domicile ».
Les contrôles effectués par les inspecteurs dans le cadre de leur mission mettent en effet en évidence « au moins trois grands types de publics […] : celui qui regroupe les phobies scolaires avérées ou autres troubles rendant la scolarisation difficile […] ; celui des familles qui estiment que leurs enfants apprendront mieux et s’épanouiront davantage à domicile […] ; enfin les familles [… pour lesquelles nous pensons] que la raison sous-jacente du choix de l’éducation à domicile est, en réalité, une raison religieuse. »
Si cette troisième catégorie de familles existe, l’inspecteur fait justement remarquer que « le raccourci entre « raison religieuse« et « radicalisation islamiste« ne doit pas aller de soi ». De fait, « peut-on même parler de « séparatisme« quand on sait que la loi, pour le moment, garantit aux familles, quelle que soit leur religion, de pouvoir éduquer leurs enfants comme elles l’entendent (à condition toutefois que les enfants soient « instruits« , que leur épanouissement soit garanti et que leurs droits soient respectés) ? »
Il conclut cette première partie par une mise en garde : « Il faut se garder de considérer que toute motivation religieuse […] est nécessairement un signe de radicalisation. Il s’agirait non seulement d’une erreur de raisonnement mais aussi d’une faute potentiellement très grave […]. »
Les « effets prévisibles » de l’interdiction de l’instruction en famille mis en avant
Si Antonello Lambertucci considère que « la scolarisation […] est la solution la plus souhaitable […] en termes d’instruction […], de socialisation et d’ouverture aux autres et au monde », il reconnaît cependant que l’instruction en famille étant un droit, il convient de se demander dans quelle mesure sa suppression est réellement nécessaire.
Il fait également remarquer que supprimer l’instruction en famille risque de déplacer le problème de la radicalisation vers « les écoles hors contrat » et les « pseudo associations « d’aide aux devoirs« aux visées troubles ». Conséquence : cela « [casserait] le thermomètre au lieu de soigner le mal » et ferait « sortir de nos « radars« un certain nombre de familles « à risque« pour lesquelles, jusqu’ici, nos contrôles portaient leurs fruits ».
Il note également que la stigmatisation des familles entraînée par cette mesure risque de « conforter, chez certaines d’entre elles, un sentiment d’exclusion et de rupture susceptible de conforter des dynamiques de radicalisation ».
Le problème d’une « conception trop stricte de la laïcité » souligné
Enfin, l’inspecteur s’interroge sur le rôle joué par une « conception trop stricte de la laïcité » sur le développement de l’instruction en dehors de l’école. L’exemple des signes d’appartenance religieuse est notamment relevé : cette question « mérite d’être interrogée, du moment qu’en bannissant ces signes on aboutit, malheureusement, à bannir, de fait, des élèves ».
En effet, les parents ont « le droit de choisir l’éducation qu’ils entendent donner à leurs enfants » et l’École est censée « former, avec les familles, une « communauté éducative« et non se substituer aux familles au nom d’une légitimité que l’on prétendrait supérieure ».
Pourtant, « le discours politique a fait de l’École l’un des lieux essentiels du « combat« pour les valeurs de la République. […] Or les établissements scolaires ne sont pas et ne doivent pas être des lieux de lutte […]. Au contraire [… ils] sont et doivent être des lieux de paix, des espaces assez « neutres« par rapport aux tensions de la cité pour que tous […] puissent s’y rassembler dans la sérénité nécessaire aux apprentissages. […] Si un combat est nécessaire, il doit absolument avoir lieu en dehors des murs de l’école. »
Il ajoute : « Nous avons jugé bon de faire des valeurs de la République un objet « d’inculcation« . […] Dès lors [elles] n’ont plus été vues, par certaines familles, comme un idéal […] mais plutôt comme une « doctrine » […], un catéchisme à opposer éventuellement à d’autres catéchismes. […] On peut se demander si [… cela] ne s’est pas révélé contreproductif, générant une forme de rejet qui a fini par affaiblir, dans son ensemble, la capacité intégratrice de l’École ».1
Conclusion : raisonnement trop simpliste, copie à revoir !
Le syndicat des inspecteurs d’académie invite ainsi à ne céder ni à « l’angélisme » ni à « la tentation de la simplification et de l’amalgame. […] Il faut accepter de se frotter à la complexité des choses. […] C’est une nécessité intellectuelle, une obligation morale et un gage d’efficacité. »
Pour aller plus loin :
Notes
1 Un commentaire de la rédaction apparaissant après cet article d’Antonello Lambertucci conforte cette analyse : « On demande aux professeurs d’être les fers de lance d’une « laïcité de combat« , on leur demande d’être des « hussards« dans un lieu qui devrait être un lieu pacifié, on leur demande de faire un catéchisme républicain tout en affirmant la laïcité de l’école. […] Or l’École, tout en étant solidaire des martyrs de la liberté d’expression, tout en enseignant l’importance de cette liberté, n’est pas et ne peut pas avoir vocation à « être« Charlie, parce qu’elle est autre chose d’encore plus important ! »