Vendredi 8 janvier à 16 heures, le collectif inter-associations IEF était auditionné par la Commission spéciale du projet de loi pour conforter les principes républicains incluant un volet d’interdiction de l’école à la maison. Voici le discours du Président de notre association, qui a traité particulièrement de la question des libertés fondamentales.
DISCOURS INTÉGRAL
Permettez moi de me présenter, Hubert Veauvy, avocat, président de l’association Liberté éducation – instruction en famille, avec, également, trois enfants scolarisés en famille.
Le sujet me tient à cœur. J’ai été à l’origine d’une tribune sur le sujet, signé par vingt de mes confrères. En préambule, permettez moi de faire remarquer que si cet article de loi (l’article 21) avait été déposé par voie d’amendement, il aurait eu toutes les caractéristiques d’un cavalier législatif.
En effet, les objectifs qu’il prétend poursuivre – qui sont détaillées dans l’étude d’impact page 218 – meilleurs apprentissages, identification précoce des difficultés rencontrées par l’enfant, assurance d’un niveau disciplinaire requis, socialisation de l’enfant – n’ont aucun lien, même indirect avec l’exposé des motifs de la loi.
L’exposé des motifs indique clairement que l’objectif unique du projet de loi est de lutter contre l’entrisme communautariste « dont l’ambition est de faire prévaloir des normes religieuses sur la loi commune » et qui « enclenche une dynamique séparatiste qui vise à la division ». En aucun cas d’améliorer le niveau d’instruction des élèves !
Cet article 21 aurait pu être inséré dans la loi portant sur la confiance pour l’école, adopté en 2019. Il n’a pas sa place dans un projet de loi qui poursuit un tout autre objectif. C’est d’ailleurs symptomatique de l’incapacité du gouvernement d’établir tout lien de cause à effet entre l’interdiction de l’école à la maison et la lutte contre le séparatisme venu de l’entrisme communautariste. La pratique de l’instruction en famille est, en soi, une pratique parfaitement conforme à nos principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité. En tout état de cause, l’obstacle constitutionnel et conventionnel est sérieux !
Obstacle constitutionnel tout d’abord.
Le Conseil Constitutionnel a déjà reconnu comme composante essentielle du principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement : l’existence de l’enseignement privé ; l’octroi de financements publics en relevant ; le respect dû au caractère propre de ces établissements, considéré comme « la mise en œuvre du principe de la liberté d’enseignement ».
Pour quelle raison le Conseil Constitutionnel ne suivrait-il pas le Conseil d’Etat
En 2017, le Conseil d’Etat, dans une décision du 19 juillet 2017 n°406150, a jugé que le principe de la liberté d’enseignement « qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République implique (…) le droit pour les parents de choisir pour leurs enfants des méthodes alternatives à celles proposées par le système scolaire public y compris l’instruction au sein de la famille ». Je vous invite à lire les conclusions éclairantes du rapporteur public, Emmanuelle Cortot-Boucher à propos de cet arrêt. A chaque fois que le Conseil d’Etat a dégagé un principe fondamental reconnu par les lois de la République, il a toujours été suivi par le Conseil Constitutionnel.
Rappelons, de plus fort, que la possibilité de pratiquer librement l’instruction en famille avec un contrôle des pouvoirs publics était une volonté forte réaffirmée par Jules Ferry lui-même contre ceux – et ils étaient nombreux – qui voulaient y porter atteinte. Jules Ferry disait lui-même : « D’une part, il faut respecter l’éducation domestique, mais d’autre part, il ne faut pas que, sous prétexte d’éducation domestique, les réfractaires de l’enseignement primaire, les seuls que nous poursuivions puissent prétexter, pour ne pas envoyer leurs enfants à l’école ou des soins qui n’existent pas, ou un enseignement tellement élémentaire qu’il ne mérite pas son nom. Il faut donc que la famille, à certains moments, et sous certaines formes, soit appelée à rendre compte ».
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Or, si l’instruction en famille est reconnue comme une composante de la liberté d’enseignement, l’article 21 – en ce qu’il instaure un régime d’autorisation – est anticonstitutionnel dans son principe.
C’est pour cette raison que la conclusion de l’avis délivré Conseil d’Etat est, à notre avis, très « glissante » : dans ce contexte, prétendre que les obstacles constitutionnels seraient levés simplement en maintenant le principe d’autorisation et en élargissant les dérogations ne tient absolument pas !
Si même, l’instruction en famille n’était pas reconnue comme une composante de la liberté d’enseignement, il faudrait encore que l’atteinte portée à cette liberté reconnue de longue date soit nécessaire et proportionnée. Or, l’avis du Conseil d’Etat lui-même constate que les carences, si elles sont avérés concerneraient une faible proportion de situations ; l’augmentation du nombre d’enfants instruits en famille et les difficultés en terme de moyens pour les services académiques « ne sont pas de nature à justifier la suppression de la liberté pour les parents de recourir à ce mode d’instruction ».
C’est déjà reconnaître que le passage d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation n’est ni nécessaire, ni proportionné. Or, ce n’est pas l’ajout d’une dérogation élargie pour toute situation particulière d’un enfant qui peut suffire à lever un tel constat.
Il existe également un obstacle conventionnel
L’article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entré en vigueur en 1952 qui indique que « L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».
A l’époque, le rapporteur Pierre Henri Teitgen précisait « il ne nous paraît pas possible de limiter, dans un texte de cette importance, le droit du père de famille à la seule éducation des enfants ». Selon Pierre Henri Teitgen, le texte doit aussi garantir « le droit fondamental qui appartient à tout père de famille de faire élever et instruire ses enfants selon sa conscience, quels que soient les impératifs de sa conscience, et ce n’est pas à l’Etat d’en juger ».
Dans ce contexte, la jurisprudence de la Cour a défini la notion de conviction : l’expression « conviction philosophique » vise « des convictions qui méritent respect dans une société démocratique et, de plus, ne vont pas à l’encontre du droit fondamental de l’enfant à l’instruction ». Les convictions religieuses protégées sont celles qui sont liée à une « religion connue » à l’exclusion de celle des sectes.
La Cour a également jugé que « les parents ne sauraient, sous couvert de leurs convictions, méconnaître le droit de l’enfant à l’instruction ». Dans ce contexte, l’article 21 est très probablement inconventionnel.
Le raisonnement est implacable
A la différence de l’Allemagne qui a interdit l’école à la maison en 1938, la France a accédé à la convention européenne alors qu’elle permettait au familles d’avoir recours, par un simple régime de déclaration, à l’instruction en famille. A la différence de celui de l’Allemagne, toute restriction apportée à cette liberté, en vertu de l’article 2 du protocole, doit être soumis au contrôle de la Cour. La Cour est donc tenue de censurer toute restriction qui ne serait pas nécessaire, c’est-à-dire proportionnée au but poursuivi.
Tel est indéniablement le cas de la mesure proposée puisqu’on a bien vu que les carences invoquées dans l’étude d’impact ne sont pas démontrées et qu’elles sont qualifiées par le Conseil d’Etat de faibles !
Mais, également, l’article 21 serait inconventionnel en ce qu’il interdit aux parents de faire état, dans leurs demandes d’autorisation, de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses.
En effet, article 21, dans sa nouvelle rédaction, ne se contente pas de maintenir un régime d’autorisation. Il indique que les parents ne pourront plus exprimer de motivations politiques, philosophiques ou religieuses lesquelles deviennent, de facto, censurées. L’autorisation « mentionnée au premier alinéa ne peut être accordée que pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des personnes qui sont responsables de l’enfant ». Ce faisant, l’article 21 du projet de loi heurte de front l’article du 2 du protocole de la convention européenne des droits de l’homme.
Les convictions philosophiques ou religieuses sont en effet protégées par la convention dés lors qu’elles ne justifient pas une méconnaissance du droit de l’enfant à l’instruction. Si l’article 21 n’était pas modifié, des parents pourraient, avec succès, aller devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme et la France se trouverait, une nouvelle fois, condamnée.
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