« Instruction à domicile : des restrictions qui inquiètent les familles »
DÉCRYPTAGE – Au nom de la lutte contre le séparatisme, l’Éducation nationale refuse en majorité les demandes des familles.
Comme chaque année, les parents qui pratiquent l’école à la maison organiseront un peu partout en France, la Journée de la non-rentrée, le 1er septembre. Mais, en cette rentrée 2022, marquée par des refus massifs de l’Éducation nationale aux demandes d’autorisation des familles et par une multiplication des recours devant les tribunaux administratifs, les traditionnels pique-niques festifs se transformeront en rassemblements devant les rectorats. La mobilisation nationale, elle, est prévue le 15 septembre, à l’occasion de la Journée internationale pour la liberté d’instruction.
Un an après la promulgation de la loi contre le séparatisme, qui a remplacé la simple déclaration des familles par un régime d’autorisation préalable de l’État, les adeptes de la pratique (qui concerne 0,4 % des enfants scolarisables) ont toutes les raisons d’être en colère. Ils rappellent le discours d’Emmanuel Macron aux Mureaux, qui, en octobre 2020, avait posé les jalons des restrictions à l’instruction en famille, en faisant le lien avec la radicalisation islamiste. Et expliquent aujourd’hui que leurs craintes étaient fondées. Ce petit monde, fait d’une multitude d’associations et de collectifs aux motivations diverses, dénonce une attaque à une «liberté fondamentale des parents» et crie au «scandale d’État».
Selon une enquête de la Coordination pour la liberté d’instruction (Coopli), menée auprès de 1000 familles et publiée le 8 août, 68 % des demandes d’autorisation pour un enfant nouvellement instruit en famille ont été rejetées, ce taux atteignant même les 100 % dans certaines académies, comme Toulouse, Besançon, Dijon ou Orléans. Pour les familles qui instruisaient déjà leurs enfants à la maison, la loi prévoit un système dérogatoire de deux ans (jusqu’à la rentrée 2024) à condition que les contrôles pédagogiques aient été favorables. Dans de nombreuses fratries, certains enfants resteront instruits à la maison, quand leurs petits frères ou sœurs devront aller à l’école s’insurge Emmanuelle, coordinatrice de l’enquête et membre de l’association Les enfants d’abord (Led’a).
«Refus arbitraires»
L’essentiel des demandes relevait du «motif 4», à savoir «une situation propre à l’enfant». Un motif fourre-tout, ajouté en fin de course par l’exécutif, après l’avis du Conseil d’État du 9 novembre 2020 donnant son aval à la réforme, mais proposant d’ajouter cette vaste catégorie, aux côtés des trois premiers motifs, très restrictifs (handicap ou santé, activités artistiques ou sportives intensives, itinérance). Sans cela, plus des trois quarts des enfants actuellement instruits en famille seraient «
Interrogé sur la question début août devant la commission éducation de l’assemblée, le ministre Pap Ndiaye a reconnu que le fameux motif «suscit(ait) des incompréhensions», et que l’Éducation nationale «péchait» dans ses réponses aux familles par «des écarts très forts entre académies et départements». «Le ministre reconnaît qu’il y a un problème. Il est temps de discuter», estime Jean-Baptiste Maillard, secrétaire général de l’association Liberté éducation, créée au lendemain de l’avis du Conseil d’État, le 8 décembre 2020. De 71.553 en 2021-2022, le nombre d’enfants instruits à domicile serait tombé, pour l’année à venir, à 50.670, «soit une baisse de 30 %!», résume-t-il, selon des chiffres «obtenus auprès de l’Éducation nationale».
«À partir du moment où l’on touche à l’école libre, on met un doigt dans un engrenage totalitaire. Jusqu’alors, je ne m’étais jamais mobilisé sur un plan politique», poursuit Jean-Baptiste Maillard, qui travaille dans le monde associatif chrétien depuis une vingtaine d’années. Inspirés par la pédagogie Montessori, sa femme et lui instruisent depuis plus de dix ans leurs trois fils. C’est la recherche de pédagogies «innovantes», «actives», qui a aussi poussé Isabelle à faire une demande pour ses deux enfants de 7 et 9 ans. Au gré d’un déménagement, ils ont quitté leur «dynamique petite école rurale ariégeoise» pour «une grande structure bretonne à la pédagogie discutable». Isabelle parle en connaissance de cause. Elle est enseignante depuis quinze ans. «Des fichiers entiers à avaler en maths sans apprentissage préalable en classe, des méthodes d’un autre temps, de l’humiliation… Le coup de grâce a été le harcèlement qu’a subi ma fille», raconte-t-elle. Elle a alors décidé de sauter le pas et soigné son dossier: «J’ai envoyé mon diplôme de professeur des écoles. J’ai précisé que mon mari était gendarme. Nous n’avons pas un profil de séparatistes.» Mais la réponse tombe, négative et non motivée. (…)