Les saisines par les parents de la médiatrice de l’Education nationale sur l’instruction en famille ont connu en 2023 une « flambée » spectaculaire (+900% en 1 an), selon son rapport 2023 publié le 17 juillet dernier et remis à la ministre, détaillant cette problématique sur plus de huit pages. Une situation qui ne va pas s’améliorer, sauf si l’on revient aux motifs trop flous et restrictifs de la loi de 2021 sur l’école à la maison. La médiatrice fait aussi le lien avec le rappel à la loi de la Défenseur des droits en avril dernier, et propose quelques pistes de bon sens – mais à nos yeux insuffisantes – pour faire baisser la pression.

Les saisines concernant l’IEF ont été multipliés par 10 entre 2022 et 2023

Ainsi, Catherine Becchetti-Bizot, médiatrice de l’Education nationale, explique que la promulgation de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a généré une hausse significative des saisines (plus de 300 en un an contre 30 l’année précédente, soit dix fois plus) pour contester les refus de délivrance d’autorisation par les services académiques.

En effet, rien qu’à Liberté éducation, qui fait partie des associations nationales de l’instruction en famille, 400 familles nous écrivent chaque été pour une refus injustifié d’autorisation.

En 2023, précise le rapport, le nombre de saisines relatives à l’instruction en famille (IEF) reçues par les médiateurs a été multiplié par 10 par rapport à l’année précédente : 54 % de ces demandes portent sur des situations de refus de l’IEF par l’administration, principalement en maternelle. Ce qui donne donc une augmentation de 900% !

Les associations nationales avaient prévenu…

Dès 2020, précise le rapport, la médiation avait été saisie par des associations et des collectifs de parents d’enfants instruits en famille faisant état de leur désarroi, après l’allocution du président de la République sur le thème de la lutte contre les séparatismes, de rendre obligatoire l’instruction dès 3 ans et de limiter l’instruction à domicile aux impératifs de santé.  L’appui de la médiation était souhaité pour que soit maintenu le droit à l’IEF dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Une fois la loi promulguée, poursuit le rapport, la médiation a reçu des courriers de parents annonçant leur volonté de désobéir civilement à l’obligation faite par l’article 49 de la loi de 2021 d’être autorisés préalablement à instruire leur enfant en famille. Les familles justifiaient alors leur démarche en indiquant que le processus de vote de la loi portait une atteinte inacceptable à la démocratie et que le passage du régime déclaratif à une demande d’autorisation constituait une entrave à leurs libertés fondamentales.

Principaux poblèmes sur le motif 4, l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif

En 2022, continue le rapport, la médiation (pôle national et médiateurs académiques confondus) a ainsi examiné une trentaine de saisines relatives à l’instruction en famille. Un certain nombre d’entre elles étaient des demandes d’informations ou de précisions. Les autres portaient sur des décisions de refus d’autorisation d’instruire en famille émanant des directions académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) s’appuyant majoritairement sur le quatrième motif de dérogation introduit par la loi de 2021 : « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». Ces demandes ont considérablement augmenté en 2023, passant d’une trentaine à plus de 300 saisines.

La loi a prévu une période dérogatoire pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, rappelle le rapport, concernant les autorisations accordées aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l’année scolaire 2021-2022 et pour lesquels les résultats du contrôle ont été jugés suffisants. On peut s’attendre à ce que le nombre de dossiers à instruire par les services académiques connaisse une augmentation significative, en conclut le rapport, et il est probable qu’il en soit de même des saisines de la médiation. En effet, les familles qui mettaient déjà en place l’IEF avant la promulgation de la loi ne bénéficieront plus d’un régime dérogatoire permettant, lorsque les contrôles s’étaient avérés positifs, de poursuivre sans avoir à demander d’autorisation annuelle.

Les principaux points d’incompréhension de la part de familles

Malgré un cadre plus restrictif et la charge que représentent la constitution du dossier de demande comme l’ensemble des démarches administratives à réaliser pour l’obtenir,  de nombreuses familles continuent à demander l’autorisation d’instruire leurs enfants en famille, souligne le rapport.

Cette insistance fait s’interroger sur la  confiance que ces familles accordent à l’école et les motivations profondes qui les animent. Les argumentaires développés expriment souvent des craintes quant à la prise en compte des besoins réels de l’enfant, au respect de son rythme, et révèlent parfois une forme de défiance envers l’école, ajoute encore le rapport.

Nous devons rappeler ici que le respect de rythme de l’enfant est le premier motif du choix des familles en IEF, avant le choix d’une méthode pédagogique et des contenus de l’enseignement, ou même la question de l’effondrement du niveau scolaire général, sans parler de la question du harcèlement qui touche chaque année en France au moins 700.000 enfants sur 12 millions d’élèves, selon l’UNICEF.

37,6% des refus d’IEF concernent les premières demandes d’IEF en maternelle

La médiation est claire : le refus des premières demandes d’IEF pour des enfants en maternelle est le principal motif de saisine du médiateur. Le ministère de l’éducation nationale indique : « sur les 5 304 demandes instruites effectuées au titre du motif 4, 1 993 ont donné lieu à un refus, soit 37,6 % des demandes ». Les saisines adressées à la médiation concernent majoritairement l’école primaire et plus particulièrement la première scolarisation en maternelle, précise le rapport. On peut supposer, conclut-il, que cette proportion est liée à l’instruction devenue obligatoire dès 3 ans, comme le prévoit l’article 11 de la loi Pour une École de la confiance du 26 juillet 2019.

Mis cela peut dénoter aussi une volonté, de la part des autorités administratives, d’en finir progressivement avec l’école à la maison en supprimant les primo-IEF.

L’incompréhension de ces refus d’IEF en maternelle, affirme la médiation, est particulièrement forte dans les familles qui ont déjà fait le choix de l’instruction en famille pour les aînés.

De fait, pouvons-nous ajouter, en ajoutant une dérogation de deux ans en 2022-2024 pour les enfants en IEF, afin de faire accepter sa loi, le gouvernement s’est tiré une balle dans le pied, accélérant le nombre des recours de familles avec refus au sein des fratries.

La médiation publie aussi un extrait de saisine assez parlant :

« Sur quel motif peut-on se fonder pour invoquer le fait que sa mère, professeur des écoles, ne pourrait l’instruire à la maison au même titre que son frère et sa sœur, quand on va l’envoyer dans une classe de 28 élèves ? J’ai beau lui expliquer qu’il va devoir aller à l’école le temps du recours, il ne comprend pas pourquoi son frère et sa sœur, eux, peuvent être instruits en famille… le sentiment d’injustice est déjà présent. Nous avons toujours respecté les procédures en vigueur et nous nous sommes pliés à tous les contrôles : administratifs, pédagogiques, etc. Nos enfants, instruits en famille depuis 2020, sont inspectés chaque année et bénéficient toujours d’appréciations positives et d’avis favorables à poursuivre l’instruction en famille. […] J’aimerais pouvoir continuer d’instruire mes trois enfants et/ou au moins pouvoir être entendue au cours d’une médiation auprès du rectorat. »

Et la médiatrice d’ajouter : dans cette situation, la tentative de médiation n’a pas permis d’infléchir la position de l’administration qui a maintenu son refus.

 

Les préconisations de la médiatrice pour faire baisser la pression

Quelques pistes de réflexion pour faire diminuer le taux de pression, élabore le rapport :

1. Dans un souci de cohérence, et même si doit demeurer au fondement du projet éducatif, une situation propre à chaque enfant, il pourrait être envisagé un traitement commun des fratries avec une analyse partagée entre inspecteurs des 1er et 2d degrés, le cas échéant, afin d’éviter le sentiment d’injustice éprouvé par certains enfants
et leurs familles.

2. Pour réduire les écarts entre territoires dans l’analyse et le traitement des dossiers de demande d’instruction en famille, une formation commune des personnels administratifs et pédagogiques qui en ont la charge, ainsi que le partage de grilles précises d’évaluation des demandes afin de contribuer à la production de réponses argumentées
aux familles en cas de refus, pourrait s’avérer utile.

3. Il conviendrait de s’assurer que le pilote académique chargé du dispositif de contrôle de l’IEF soit effectivement nommé et identifié comme tel dans chaque académie afin d’harmoniser sur le plan national les calendriers et le suivi des décisions, et ainsi de sécuriser au maximum les réponses adressées aux familles.

Si ces préconisations sont de bon sens, elles sont à nos yeux trop insuffisantes, vue la situation dans laquelle se trouvent les familles. En effet, il faut faire évoluer la loi, comme par exemple dans le sens de cette proposition de loi qui arrive en première lecture à l’Assemblée nationale, après son adoption par le Sénat :

    1. Redonner leurs chances aux enfants : fournir un projet éducatif devrait suffire
    2. Leur donner la possibilité de continuer sans demande d’autorisation si les contrôles sont réussis
    3. Redonner la possibilité de commencer à tout moment de l’année.

Les observations du Défenseur des droits mises en avant

La médiation de l’Education nationale met également en exergue les observations du Défenseur des droits du 12 avril 2024, avec son rappel à la loi concernant l’instruction en famille :  trois recommandations sur l’examen au fond des demandes d’IEF, sur les justificatifs nécessaires et les modalités de réalisation des contrôles pédagogiques. Rappelons ainsi que le Défenseur des droits relevait la disparité des pratiques des académies dans les modalités d’instruction des demandes, « certaines exigeant, par exemple, que soit justifiée l’impossibilité pour l’enfant de se rendre à l’école ». Le Défenseur des droits s’insurgeait contre une telle interprétation de la loi, rappelant que « c’est avant tout la conformité à l’intérêt de l’enfant apprécié au cas par cas, qui doit guider l’appréciation des demandes déposées par les familles afin de définir si l’enfant peut être instruit en famille. »

La médiatrice pointe du doigt une « culture de rapport de force »

La médiatrice souligne, d’une manière générale, que les saisines fondées sur l’enseignement et la vie dans l’établissement sont passées en première position, avec une très forte progression en 2023 : +19% en un an et un doublement en cinq ans. Ce qui rejoint également la question de l’école à la maison. « Dans des situations de plus en plus nombreuses, les médiateurs observent une dégradation de la relation entre l’école et les familles. Une culture du rapport de force, aux antipodes de l’alliance éducative nécessaire pour assurer l’accompagnement et la qualité du parcours de l’élève, semble se développer », pointe le rapport.

Si ce rapport de force n’était pas évident, il l’est bien pour l’école à la maison, comme nous le constatons maintenant depuis plus de deux, avec des centaines de recours devant les tribunaux administratifs du pays, jusqu’à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Une situation que même l’ONU a épinglée.

Pour aller plus loin :

 

 

 

 

 

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