Aujourd’hui, à la demande de notre association, la députée Anne-Laure Blin a interrogé le directeur de la DGESCO, en commission des affaires culturelles et de l’éducation, à l’Assemblée nationale, sur les nombreux refus d’instruction en famille. Il lui a répondu en partie, avec quelques erreurs et aucun chiffre précis.
Notre analyse
Mme Anne-Laure Blin a demandé les chiffres académie par académie, motif par motif, chiffres toujours gardés confidentiels par le ministère de l’Education nationale et qui permettrait pourtant d’avoir une photographie nette de la situation.
Dans la réponse, M. Edouard Geffray, directeur de la DGESCO, évoque le chiffre de 53000 demandes « la plupart satisfaites car demandes de plein droit » en affirmant que ce chiffre est à peu près similaire aux années précédentes, alors que l’année dernière, le ministère nous communiquait le chiffre de 71000 enfants instruits en famille. Il précise que le chiffre donné par le ministre le 2 août dernier : il s’agit 53% d’acceptation pour le motif 4 (la situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif) et non du total, 85% des enfants étant déjà en IEF l’année dernière. Il annonce aussi qu’il y aurait « seulement 10% de refus » au global… alors que l’Education nationale ne peut justement opposer un refus aux familles de plein droit !
La moitié des demandes pour le motif 4 aurait fait l’objet d’une décision de refus, ce qui est donc considérable, pour une liberté fondamentale des parents, premiers éducateurs de leurs enfants.
Il affirme que les recours gracieux ont permis d’achever l’harmonisation demandée par les ministres, peut-être veut-il parler ici des recours administratifs préalables au tribunal administratif ? Notre association n’a en effet pas connaissance de la réussite de recours gracieux auprès du ministre, et selon nos chiffres, seule une toute petite proportion (de l’ordre de 20%) des recours des 400 familles que nous accompagnons leur ont permis d’obtenir gain de cause.
Il affirme également regarder la situation des fratries dans lesquelles un des enfants obtient un refus, or là encore, nous défendons devant les tribunaux de nombreuses fratries sans que l’Education nationale ne revienne pour autant sur sa décision. Notamment dans l’académie de Toulouse, où 90% des nouvelles demandes sont refusées et nous avions obtenu une première victoire.
Le directeur de la DGESCO souhaite également rappeler que l’instruction en famille est désormais une dérogation octroyée par ses services – là encore, un comble pour un droit fondamental développé dans le monde entier. Il affirme que le 4ème motif « suppose que la situation particulière de l’enfant » justifie un projet pédagogique (et ce même si de nombreux projets pourtant bien ettayés sont refusés). M. Edouard Geffray ajoute que « cela part de la situation de l’enfant » et non du libre choix des parents, « même s’ils sont professeurs » (sic). Nous pensons ici à cette mère de famille que nous accompagnons devant le tribunal administratif, maître de conférence à l’université de Paris-Diderot, chercheur IRSEM/Institut Curie et docteur en bio-informatique du cancer, qui a malgré tout essuyé un refus d’instruire en famille son enfant de 3 ans. Nous pensons également aux nombreux enfants victimes de phobie scolaire ou de harcèlement, parfois avec tentative de suicide, auxquels l’académie demande tout de même de réintégrer leur école.
Situation propre ou situation particulière de l’enfant ?
Enfin, en parlant de « situation particulière » de l’enfant, le directeur de la DGESCO commet une erreur, car la loi ne parle pas de « situation particulière » mais de « situation propre », ce qui est très différent, en effet, ce point avait été débattu dans l’hémicycle, certains députés craignant à juste titre des discriminations. Ainsi, un amendement de Mme Géraldine Bannier a permis de remplacer l’expression « situation particulière » par « situation propre » afin de ne pas concerner que les enfants ayant un profil atypique mais d’englober tous les enfants pour lesquels les parents auraient un projet éducatif. Mme Anne Brugnera, alors co-rapporteuse du texte, évoquait bien le motif 4 comme permettant de faire l’IEF par convenance personnelle : « L’essentiel, pour les familles, est de garder la possibilité d’opter pour l’instruction en famille si elles la jugent bénéfique à leur enfant (…) Le fait qu’elles jugent cette solution bénéfique, c’est bien ce qui motive leur demande d’autorisation, comme le prévoit le quatrième motif ; elles devront ensuite l’étayer dans leur projet éducatif » (1).
A ce sujet, la députée Anne-Laure Blin a raison dans sa question de rappeler la réserve du Conseil constitutionnel, sur laquelle l’administration fait la sourde oreille. En effet, ce dernier est venu, par sa décision du 13 août 2021, confirmer que la situation propre n’a pas à être détaillée par les parents, pourvu que le projet pédagogique soit étayé : « Le législateur a entendu que l’autorité administrative s’assure que le projet d’instruction en famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant. Enfin, il appartiendra (…) au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille (…) sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit ». (2).
Flou artistique complet
Le directeur de la DGESCO a annoncé enfin « quasiment 100% d’acceptation » pour les autres motifs de pratiquer l’instruction en famille (état de santé de l’enfant, itinérance et éloignement géographique…) alors que là aussi nous accompagnons de nombreuses familles qui ont essuyé un refus pour ces motifs précis.
Il est donc plus que jamais nécessaire de connaître les chiffres réels des refus, académie par académie, motif par motif, afin de vérifier l’effectivité et l’efficacité de l’harmonisation des décisions rendues d’un département à l’autre, promise par le ministre le 2 août dernier, mais aussi pour pouvoir obtenir un traitement équitable de toutes les situations alors que la discrimination territoriale semble loin d’être circoncise.
Enfin, il faudrait connaître les intentions du ministère : souhaite-t-il ou non tenir compte des nombreuses ordonnances de suspension des refus d’autorisation ?
Dès lors qu’il y a 50% de refus des nouvelles demandes, fera-t-il face à 25.000 recours administratifs et devant les tribunaux à la rentrée 2024, lorsque le régime dérogatoire n’aura plus cours ?
Lire aussi :
Notes
(1) Déclarations de la rapporteuse du projet de loi, Mme Anne Brugnera, à l’Assemblée :
« Tout enfant est particulier. »
« Le quatrième motif prend bien entendu en compte les enfants atteints de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, tout comme les enfants précoces et tous ceux qui ont besoin d’un rythme d’apprentissage différent. Est également prévu le cas des enfants pour qui le diagnostic n’est pas encore complètement établi mais dont certaines difficultés ont déjà été repérées par les parents. »
« Les familles souhaitant utiliser une méthode pédagogique que les établissements de leur académie n’offrent pas peuvent invoquer le quatrième motif pour en demander l’autorisation, en le précisant dans le projet éducatif. »
« L’essentiel pour les familles est de garder la possibilité d’opter pour l’instruction en famille si elles la jugent bénéfique à leur enfant. Mais c’est précisément l’objectif du quatrième motif ! Le fait qu’elles jugent cette solution bénéfique, c’est bien ce qui motive leur demande d’autorisation, comme le prévoit le quatrième motif ; elles devront ensuite l’étayer dans leur projet éducatif, qui détaillera ce que vous appelez leurs « convictions pédagogiques ». Votre amendement est donc pleinement satisfait par la rédaction actuelle de l’article, même si les mots utilisés ne sont pas les mêmes. »
« L’amendement n° 2408 propose une nouvelle rédaction du quatrième motif autorisant l’instruction en famille pour préciser qu’il est satisfait dès lors que le projet éducatif participe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il me semble satisfait par la rédaction actuelle de l’article, qui prévoit que l’autorisation « ne peut être accordée […] sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant » lorsqu’il existe une situation propre à l’enfant. »
(1) Conseil constitutionnel, décision du 13 août 2021, n°2021-823 DC, §76.