Ce jeudi 19 décembre, les associations nationales de l’instruction en famille ont été auditionnées par la commission des Lois de l’Assemblée nationale. En effet, la séance publique du 14 janvier 2025 aura pour thème « L’évaluation de la loi confortant le respect des principes de la République », et la question de l’évaluation de la nouvelle loi régissant l’instruction en famille est donc à l’ordre du jour.
La commission des Lois a désigné trois rapporteurs en vue de ce débat thématique de contrôle : Mme Laure Miller (EPR), M. Antoine Villedieu (RN) et M. Bastien Lachaud (LFI-NFP).
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Voici donc l’intervention de notre secrétaire général Jean-Baptiste Maillard, qui était accompagnée par notre responsable de la relation avec les familles, Anne-Lise Pellat.
Mesdames et messieurs les députés de la Commission des lois,
Merci encore de votre invitation. En préambule, nous sommes heureux que notre association Liberté éducation soit interrogée aux côtés des autres associations nationales de l’instruction en famille. Cependant, nous regrettons que le ministère de l’Education nationale entretienne sur ce sujet de l’instruction en famille une absence de transparence quant aux chiffres des refus qui mériterait elle aussi d’être interrogée. Ces chiffres précis des refus existent pourtant, dans chaque académie et par département, et ce dès la fin de la rentrée scolaire. Pourquoi ne sont-ils pas communiqués aux familles, aux associations de l’IEF, aux journalistes et la représentation nationale qui, à travers de nombreux parlementaires, les réclament chaque année, motif par motif, académie par académie, département par département ? Pour 2024-2025, seule l’académie de Strasbourg a communiqué sur ces chiffres, et dès le mois de septembre, avec pour résultat seulement 25% d’acceptation des nouvelles demandes sur le motif pédagogique. Quid des autres académies ? Ce manque de transparence laisse songeur.
De notre côté, nous accompagnons des familles au tribunal administratif, à la fois dans les référés-suspension et dans les requêtes sur le fond. La jurisprudence française ne s’arrêtant pas au Conseil d’Etat, nous accompagnons également en ce moment une famille dont la requête a été acceptée tout récemment par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Par ailleurs, saisie par nos associations nationales de l’IEF, l’ONU a épinglé la France qui ne respecte pas la charte des droits sociaux économiques et culturels de l’ONU, qu’elle a pourtant ratifiée, et qui stipule en son article 13.3 que l’Etat doit respecter le droit des parents de « choisir une alternative à l’école ». Ainsi, l’ONU a reconnu que l’article 13.3 de ce Pacte international qui protège la liberté éducative des parents de choisir des établissements autres que ceux des pouvoirs publics s’applique bien à l’instruction en famille. C’est bien reconnaître que l’instruction en famille est une alternative éducative au même titre que celle des écoles sous contrat ou hors contrat. Elle fait partie de la liberté scolaire. Par ailleurs, le comité a montré son inquiétude quant à la limitation drastique de cette liberté éducative venue du régime d’autorisation instauré par la loi sur le séparatisme. Ainsi, l’ONU a demandé à la France de « prendre les mesures nécessaires » pour respecter ce droit humain des familles. Le Comité de l’ONU a également alerté sur la violation potentielle du principe de nécessité et de proportionnalité. (Comme l’avait d’ailleurs affirmé sur ce volet le premier avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi, avant son revirement).
Nous avions déjà évoqué à quel point la loi dite séparatisme avait, sur le fondement d’un risque imaginaire, à savoir une soi-disant dérive séparatiste de l’instruction en famille, instauré un régime qui n’était ni proportionné, ni nécessaire. Enfin, l’ONU demande à la France de respecter « les besoins particuliers » ainsi que « l’intérêt supérieur de l’enfant », « en tenant compte » de la possibilité pour les parents de choisir une alternative à l’école. C’est bien montrer que loin d’être le garant de l’intérêt supérieur des enfants, l’Etat français a en réalité porté atteinte à l’intérêt supérieur de ces enfants et à leurs besoins particuliers. Etant donné que de très nombreuses familles dont les enfants souffrent de troubles de l’apprentissage, de l’attention ou de pathologies diverses (handicap, etc.) voire même harcelés se voient niés dans leurs spécificités ou dans leurs souffrances psychiques, ces trop nombreux refus d’instruction en famille ajoutent, pour ces enfants et leurs parents, encore de la souffrance à la souffrance.
Rappelons que cette nouvelle loi s’est assise sur les principales conventions internationales, citons par exemple la Convention internationale des Droits de l’Enfant (article 12-1), la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (article 26,3) ou encore la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne (article 14,3). Il est donc logique que ces conventions « rattrapent » progressivement la loi séparatisme.
En France, le 12 avril 2024, la Défenseur des droits a publié un rappel à la loi concernant le nouveau régime d’autorisation d’instruction en famille, et relevait la disparité des pratiques des académies dans les modalités d’instruction des demandes : « certaines exigeant, par exemple, que soit justifiée l’impossibilité pour l’enfant de se rendre à l’école ». Le Défenseur des droits s’insurgeait contre une telle interprétation de la loi, rappelant que « c’est avant tout la conformité à l’intérêt de l’enfant apprécié au cas par cas, qui doit guider l’appréciation des demandes déposées par les familles afin de définir si l’enfant peut être instruit en famille. » Il a ainsi invité le ministère de l’Education nationale à harmoniser ses pratiques, mais également à rechercher si une demande qui ne rentrerait pas dans les conditions de délivrance d’une autorisation au regard du motif invoqué, pourrait rentrer dans le champ d’un autre motif, en sollicitant, le cas échéant, des pièces complémentaires. Le Défenseur des droits a également contesté la restriction des demandes d’instruction en famille aux seules personnes justifiant d’un lien de filiation, indiquant qu’il n’était pas possible de refuser une autorisation sur le fondement de la seule absence de présentation d’une pièce d’identité valide, ou d’un document justifiant de son lien de filiation.
De plus, comme l’indique la Médiatrice de l’Education nationale dans son rapport 2023 publié le 17 juillet dernier et remis au ministre, les saisines par les parents ont connu en 2023 une « flambée » spectaculaire (+900% en 1 an). Selon elle, elles portaient sur des décisions de refus d’autorisation d’instruire en famille émanant des directions académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) s’appuyant majoritairement sur le quatrième motif de dérogation introduit par la loi de 2021 : « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». Toujours selon ce rapport, le refus des premières demandes d’IEF pour des enfants en maternelle est le principal motif de saisine du médiateur. Le ministère de l’éducation nationale indique : « sur les 5 304 demandes instruites effectuées au titre du motif 4, 1 993 ont donné lieu à un refus, soit 37,6 % des demandes ».
Nous sommes donc globalement à près de 62% d’acceptation des demandes. Pour un droit humain inaliénable des parents, premiers et principaux éducateurs de leurs enfants, c’est bien trop peu.
Selon nos avocats qui défendent de nombreuses familles devant les tribunaux administratifs du pays, les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) ferment les disponibilités contentieuses, ce qui est un moyen habituel de toute administration, le délai de RAPO étant également très court. Ils constatent qu’en moyenne, 1 RAPO sur 2 est accepté, ce qui est le signe que les décisions initiales sont rejetées en masse, les administrations mettant en place une stratégie d’épuisement des familles. Est constaté également que régulièrement, au matin de l’audience, sont envoyées via le tribunal des autorisations de dernière minute, ce qui a pour effet de tuer le contentieux dans l’œuf, pour que l’administration se préserve une jurisprudence favorable. Ainsi, beaucoup de décisions favorables ne voient pas le jour parce qu’elles sont court-circuitées quelques heures avant l’audience. Ce qui participe aussi au découragement des familles devant cette jurisprudence.
Par ailleurs, dans 80% des décisions de refus initiales et de RAPO sont justifiées par le motif « les aménagements pour votre enfant sont possibles à l’école, donc il doit être rescolarisé ». A aucun moment, on ne soupèse l’intérêt supérieur de l’enfant, les éléments de sa situation concrète, pour les comparer dans son intérêt, comme exigé par le Conseil d’Etat et rappelé récemment par le Défenseur des Droits. Ainsi, l’administration n’évoque jamais les détails de la situation propre à l’enfant ou d’autres éléments du dossier et se contente d’émettre un refus, souvent sous la forme de copier-coller maladroits avec comme seule réponse « votre dossier n’établit pas l’impossibilité d’une scolarisation », ce qui n’est pourtant pas dans la loi, et alors même que le Conseil d’Etat statué que cette justification de l’administration n’était pas un refus motivé, comme sur tous les motifs de demande.
En résumé, le nouveau régime rend impossible la démonstration par les parents que l’instruction en famille est meilleure que la scolarisation alors que le rectorat et le juge font cette comparaison pourtant aucunement exigée par la loi en application de la décision du Conseil d’Etat du 13 décembre 2022. On est donc de facto dans une IEF réservée à des enfants présentant des particularités rendant difficile la scolarisation ce qui est très loin de l’intention du législateur qui exigeait uniquement la présentation d’un projet pédagogique personnalisé.
Soulignons qu’il y a également une discrimination territoriale importante, comme par exemple l’académie de Toulouse qui, la première année de la promulgation de la loi, opposait plus 80% de refus des demandes, avant de revoir sa copie l’année suivante, à la suite de plus de 200 recours devant les tribunaux. Soulignons également que les frais de justice sont colossaux, à la fois pour les familles et les académies. Enfin les motifs choisis par les familles sont très rarement respectés, y compris pour activités sportives ou artistiques intensives (championnat de France par exemple), ou même état de santé ou harcèlement. Ce qui engendre un nombreux contentieux. En règle générale, le juge administratif a les pleins pouvoirs dans son appréciation, y compris la situation propre motivant le projet éducatif du motif 4. Concernant le motif harcèlement, soulignons ici qu’une députée de la majorité présidentielle, Mme Maud Petit, a proposé le 8 octobre dernier qu’un motif « harcèlement scolaire » soit ajouté à ceux permettant à un enfant d’être instruit dans sa famille.
Pour revenir à la situation propre à l’enfant du motif 4, cette notion n’a jamais été définie positivement, ni par le Conseil constitutionnel, ni par le Conseil d’Etat, ni par le gouvernement, ni par le ministère, ni même par le rectorat à la barre, ni par la jurisprudence. Tout ce que nous savons, ce que cette situation propre à l’enfant n’est pas une situation particulière ou une situation qui suppose une impossibilité de scolarisation. Ce pourquoi également, la proposition de loi du sénateur Max Brisson déjà votée au Sénat est de bon sens avec la suppression de cette « situation propre » au profit de la présentation d’un projet pédagogique. Ce flou est cependant entretenu à dessein par l’administration : une notion non définie étant non remplie dans l’esprit de l’administration. C’est à rebours de l’état de droit, alors même que celui-ci suppose qu’on définisse les éléments de la loi, avant de pouvoir les opposer aux administrés que nous sommes.
On ne pourra pas reprocher au Président d’avoir avancé masqué dans son discours des Mureaux, dans lequel il avait dit que seuls les enfants ne pouvant vraiment pas aller à l’école pour motif de santé pourront bénéficier de l’instruction en famille. Cependant, dans une démocratie comme la France, ce n’est pas le Chef de l’Etat qui fait la loi mais l’Assemblée nationale, ce n’est pas la substance des travaux parlementaires, ce n’est pas le texte qu’elle a voté même si l’administration fait tout pour limiter ces autorisations d’instruction en famille. Ainsi que l’a reconnu elle-même la nouvelle directrice de la DGESCO Caroline Pascal en affirmant le 18 septembre dernier devant la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, le but initial de la loi était de « revenir à un étiage de 35.000 enfants », alors que nous étions 75.000 juste avant la loi.
Nous luttons pour une juste cause, celle de nos enfants, et tôt ou tard nous l’emporterons !
Cette intervention est complétée par un document de réponses à des questions écrites de la Commission des lois que nous publierons prochainement.
Pour aller plus loin :
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