Arguments juridiques en faveur de la liberté d’instruire en famille, rédigés par les Juristes pour l’Enfance, association pour la promotion et la défense des droits de l’enfant, Consultant auprès du Conseil économique et social de l’ONU.
Actuellement, l’instruction en famille est réglementée dans le code de l’éducation. Cet encadrement a été renforcé par la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019, dite loi Blanquer (article 19), le Ministre de l’Education ayant estimé que « cette liberté d’instruction à domicile a un fondement constitutionnel puissant mais qui doit s’équilibrer avec d’autres principes, notamment les droits de l’enfant. C’est pourquoi j’ai pu dire à l’Assemblée Nationale et au Sénat qu’il fallait encadrer d’avantage et c’est ce que nous avons fait ». Pour le ministre, la situation actuelle est équilibrée : « sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre » (audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Sénat 18 juin 2020, Commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre).
Le projet du président de la République, annoncé dans son discours du octobre, de supprimer l’Instruction en Famille ne fait pour l’instant l’objet d’aucun texte. Ce sont les règles actuellement en vigueur qui s’appliquent.
Le droit applicable
Le régime actuel relève d’un régime déclaratif (et non d’autorisation), avec un encadrement et un contrôle de l’instruction dispensée à domicile, que l’enfant soit ou non inscrit à un cours d’enseignement à distance :
Les parents doivent déclarer au maire et à l’académie qu’ils feront donner à leur enfant l’instruction dans la famille (art. L131-5 du code de l’éducation) ;
Les enfants qui reçoivent l’instruction dans leur famille sont dès la première année, et tous les deux ans l’objet d’une enquête de la mairie compétente, uniquement aux fins d’établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables, et s’il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de santé et les conditions de vie de la famille. Le résultat de cette enquête est communiqué à l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation. Une inspection doit être réalisée par l’académie au moins une fois par an (art. L131-10 du code de l’éducation) ;
Si les résultats du contrôle sont insuffisants, les parents sont mis en demeure d’inscrire leur enfant à l’école, publique ou privée (art. L131-10 du code de l’éducation) ;
Le fait de ne pas avoir obtempéré est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende (art. 227-27-1 du code pénal).
Une éventuelle suppression serait contraire aux Conventions Internationales
Article 27 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) : « c’est aux parents ou aux autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant » ;
Art. 26.3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants »
Art. 13 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : « Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l’Etat en matière d’éducation » ;
Art. 2 du protocole additionnel de la Convention Européenne des droits de l’homme : « « (…) L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. » La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que cet article 2 implique pour l’Etat « le droit d’instaurer une scolarisation obligatoire, qu’elle ait lieu dans les écoles publiques ou au travers de leçons particulières de qualité » (CEDH, décision du 6 mars 1984, Famille H. c. Royaume-Uni, n° 10233/83). Néanmoins, la CEDH a également pu estimer conforme à sa propre jurisprudence, concernant l’importance du pluralisme pour la démocratie, le raisonnement soulignant l’intérêt général de la société à prévenir l’émergence de sociétés parallèles fondées sur des convictions philosophiques distinctes et l’importance de l’intégration des minorités dans la société. Par conséquent, elle a rejeté comme manifestement mal fondé le grief tiré du refus d’autoriser les parents à éduquer leurs enfants chez eux (Konrad et autres c. Allemagne no35504/03, CEDH 2006-XII). Voir aussi CEDH 10 janvier 2019, Wunderlich contre Allemagne n° 18925/15.
Une éventuelle suppression serait contraire aux principes à valeur constitutionnelle
Le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 23 novembre 1977 a établi « que le principe de liberté de l’enseignement, qui a notamment été rappelé à l’article 91 de la loi de finances du 31 mars 1931, constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle »
Le Conseil d’Etat a reconnu et appliqué cette liberté, soulignant le : « droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille » (CE, 19 juillet 2017, association les enfants d’abord, n° 406150 et avis du 29 novembre 2018).